Jusqu’au 1er juin 1925, l’Asia Civilisations Museum reprend avec « Pagoda Odyssey » une exposition qui a eu lieu à San Francisco en 1915. La finesse des objets présentés, leur histoire, et leur contribution à la connaissance de l’architecture chinoise sont étonnantes.
La production d’un orphelinat créé par un jésuite français
L’histoire commence en 1864, quand le jésuite français Joseph Gonnet ouvre un orphelinat à Shanghai, appelé Tushanwan. Il accueille les petits garçons abandonnés, les loge, les habille, les nourrit et, à partir de 6 ans leur donne une éducation générale beaucoup plus étendue que la moyenne locale d’alors : littérature, langues étrangères, latin, physique, mathématiques, … Á partir de 13 ans, ils reçoivent une formation technique leur permettant de trouver un emploi dans divers domaines : menuiserie, reliure, peinture artistique, sculpture, vitraux, sculpture sur bois, mosaïque, lithographie, ou travail du métal. A 19 ans, ils pouvaient soit quitter l’orphelinat pour mener leur vie, soit y rester pour y travailler. Notons qu’il y avait à proximité un orphelinat pour des petites filles, tenues par des sœurs, qui les formaient aussi à d’autres techniques, comme la couture et la broderie.
La situation économique et politique difficile de la Chine d’alors a conduit à de nombreux abandons d’enfants. Trois ans après l’ouverture de l’orphelinat, il avait déjà 342 pensionnaires, ce qui a nécessité un agrandissement des locaux. Dans ses 60 premières années d’existence, il a vu passer plus de 2500 orphelins.
Les anciens pensionnaires de l’orphelinat étaient très appréciés pour leurs talents. Ils devinrent des maîtres dans leur domaine et ils ont influencé maints artistes ultérieurs. Il faut dire que certains ateliers étaient dirigés par des experts français du domaine, comme le sculpteur sur métal Hyppolite Moreau.
Le bâtiment restant de l’orphelinat situé dans le quartier de Xujiahui à Shanghai a été transformé en musée pour perpétuer la mémoire de cette entreprise. L’entrée est décorée par un portail monumental, qui a été aussi réalisé par l’orphelinat et exposé à l’exposition de San Francisco en 1915.
Une collection qui avait disparue de la circulation
Cette collection de modèle réduits de pagodes a été spécialement réalisée pour l’exposition internationale Panama-Pacific de 1915 à San Francisco, exposition visant à célébrer simultanément la découverte de l’Océan Pacifique par les espagnols quatre siècles plus tôt et l’ouverture du canal de Panama un an avant.
Cette exposition a eu lieu dans un contexte très particulier. La première guerre mondiale venait d’éclater en Europe. L’empire chinois avait été renversé trois ans plus tôt et la nouvelle République de Chine souhaitait montrer un nouveau visage au regard du monde. Ce fut d’ailleurs la première fois que la Chine avait un pavillon à elle dans une exposition internationale. Pourtant, ce n’est pas dans ce pavillon que les pagodes ont été exposés, mais au Palais de l’Education, comme exemple de système d’éducation moderne.
En effet, ce fut le jésuite allemand Aloysius Beck, alors responsable de l’atelier de sculpture sur bois de l’orphelinat, qui fut à l’origine de cette initiative, qui intéressait peu le nouveau gouvernement chinois. Par l’intermédiaire du consul des Etats-Unis à Shanghai, il négocia cette participation à l’exposition de San Francisco, qui ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices. Il régnait alors aux Etats-Unis, et particulièrement sur sa côte Ouest, destination principale des migrants, un fort sentiment contre les chinois, vus comme une menace économique et sociale pour les américains, à tel point que des lois interdisaient alors aux chinois d’immigrer ou d’acheter des terrains.
L’exposition des pagodes a finalement bien eu lieu. La collection de pagodes a été ensuite vendue au Field Museum of Natural History de Chicago, qui se contenta de n’en montrer quelques-unes de temps à autre. En 2007, l’essentiel des pagodes fut vendu à un collectionneur privé. En 2015, une grande partie d’entre elles furent exposées au San Francisco Museum, à l’occasion du centenaire de l’exposition Panama-Pacific. En 2023, l’ACM a acquis l’ensemble des pièces, ce qui permet aujourd’hui de revoir pour la première fois depuis 1915 la collection complète des 84 pagodes.
La première étude systématique des pagodes chinoises
La collection montre un vaste panorama des différents types de pagodes depuis le 7ème siècle jusqu’à la fin du 19ème siècle dans toutes les provinces de la Chine. Il y a même un spécimen provenant de Corée.
Les pagodes sont en fait les héritières des stupas indiens apparue en Chine dans le premier siècle avant J.-C. Elles servaient à l’origine de reliquaire. Mais avec le temps leur destination a évolué vers des bâtiments défensifs, des pavillons de plaisance, des tours de guet, ou des phares.
Leur hauteur est très variable, en fonction de leur nombre d’étages (en général impair) : d’une quinzaine de mètres à plus de 80 pour les plus hautes. Elles ont en général une forme octogonale, mais on en trouve des carrées, des rondes, des hexagonales, et même des superpositions de plusieurs de ces formes. Leur style varie selon les régions et les époques, ainsi que les matériaux de construction qui va du bois pour les plus anciennes, à la pierre, la brique, voire la fonte. Leur décoration peut être plus ou moins élaborée, les plus raffinées étant recouvertes de porcelaine.
Cette collection de pagodes a été la première tentative d’inventaire des pagodes chinoises. Il a fallu ensuite attendre 1931 pour qu’une étude systématique et scientifique de l’architecture chinoise soit entreprise.
Des pièces d’une extraordinaire finesse
La plupart des pagodes ont été construites en teck à l’échelle 1/50ème. Elles ont été conçues à partir de photos, de dessins, voire de récits, ce qui explique parfois des écarts par rapport aux originaux supposés. De plus, certaines ont été modifiées en formes ou en couleurs pour les aligner sur leur image en occident.
Ceci étant, elles conservent pour la plupart leur esprit. De plus, elles constituent un témoignage précieux pour celles qui ont disparu ou ont été endommagées depuis.
La minutie de la décoration démontre les talents des orphelins de l’atelier de Tushanwan. On estime que 300 garçons ont travaillé pendant deux ans pour réaliser cette collection.
Une exposition qui nous projette plus d’un siècle dans le passé
Si les maquettes des pagodes constituent le cœur de l’exposition, on y trouve aussi d’autres productions de l’atelier de Tushanwan, comme un coffre en bois, des peintures (portraits), des livres (dont un ouvrage de déontologie médicale en français datant de 1928), et une collection de 104 figurines en bois, représentant des scènes de la vie quotidienne locale et offerte en présent à l’amiral français Jules le Bigot pour avoir fait barrage de son corps à l’entrée de convois armés japonais dans la concession française de Shanghai en 1937
Notez que quelques pièces de la collection sont exposées au rez-de-chaussée (level 1), à l’entrée et dans la salle « Maritime Trade », et au 1er étage (level 2), sur le chemin conduisant à la galerie qui lui est dédiée. Parmi elles, un improbable minaret d’une mosquée de la région de Canton et un chorten tibétain.
Mais les aspects les plus touchants de cette exposition sont peut-être des films de 1915 relatant l’exposition de San Francisco et un de 1947 montrant la dureté du Shanghai d’après-guerre et les pensionnaires de l’atelier de l’orphelinat, alors encore actif, à l’œuvre. De précieux témoignages historiques !
Enfin, au-dessus de l’entrée du musée, les enfants pourront s’amuser à construire des pagodes, tandis que les parents visiteront la pagode des six harmonies de Hangzhou en réalité virtuelle : arrivée en barque, montée à la pagode par un sentier de pierre bordé d’animaux féeriques, et ascension de la pagode de près de 60m jusqu’au treizième et dernier étage, où ceux sujets au vertige risquent de décrocher.
L’exposition se tient jusqu’au 1er juin 2025 à l’Asian Civilisations Museum (ACM).
Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez acheter le livre « Chinese Pagodas on the World Stage » édité par Epigramme.